Le témoignage de Camille
- Audrey Berche
- 20 oct. 2023
- 8 min de lecture
Ce qui m'a le plus bouleversée dans mon rapport aux élèves, c'est de découvrir qu'un enfant sur dix, soit trois enfants par classe, ont ou seront victimes d'agressions sexuelles au sein de la famille avant leur 18 ans, et que trois enfants sur quatre subissent des violences physiques et morales à la maison.
À force de discuter avec eux, je me suis rendue compte du grave problème qu'on a dans notre société : les violences intra-familiales sont tellement banalisées que presque tous les enfants, peu importe leur origine culturelle et leur niveau de vie, considèrent qu'il est normal de disputer, humilier et frapper son enfant parce que c'est "comme ça qu'on apprend". Alors que dans la réalité, les élèves battus ne changent pas leur comportement, voir deviennent encore plus difficile à gérer au quotidien.
Aujourd'hui c'est Camille qui nous raconte son histoire, elle nous évoque les violences qu'elle a subies au sein de sa famille mais aussi des conséquences qu'elles ont engendrées et du long parcours de recherche de soi dans lequel elle est coincée depuis plusieurs années.
1/ Est-ce la première fois que tu t’exprimes sur ton agression ?
Non, ce n’est pas la première fois, mais j’ai mis beaucoup de temps. La première fois, c’était après le deuxième confinement, il y avait énormément de choses qui n’allaient pas donc j’ai commencé à voir une psychologue sous les conseils de ma mère. J’ai réussi à lui expliquer ce qu’il s’était passé et je crois que ça a été la pire après-midi de ma vie. Puis petit à petit, je me suis emparée de mon trauma, ça a pris deux ans, mais j’ai enfin réussit à écrire dessus, et j’y arrive de plus en plus.
2,5/ Si non, comment les personnes à qui tu l’as dit ont réagis ? Regrettes-tu de le leur avoir dit ?
Ma mère la su que très récemment, elle a beaucoup pleuré mais depuis j’ai l’impression qu’elle fait comme si je n’avais rien dit. Je regrette un peu parce que j’ai l’impression que la situation chez moi ne change pas du tout malgré mes aveux.
3/ Connaissais-tu ton agresseur ?
Malheureusement oui, comme beaucoup de femmes en réalité, on a tendance à croire qu’un viol surgit de nul part dans une rue sombre au beau milieu de la nuit, pourtant ça arrive le plus souvent dans nos maisons, chez nos amis… et c’est mon cas, c’est arrivé chez moi, plusieurs fois.
4/ Peux-tu nous raconter ce qu’il t’est arrivé, dans la limite des détails que tu souhaites donner ?
J’avais huit ans, et il me faisait croire que dans la famille c’est normal, que c’est comme ça qu’on s’aime au sein d’une famille. Il l’a fait plusieurs fois et à chaque fois que j’ai voulu qu’il arrête il s’est mis à dire en rigolant aux adultes que je voulais me marier avec lui, et tout le monde rigolait. Quelques mois plus tard, il m’a coincée dans la chambre de ma mère avec un couteau et a essayé de m’égorger, mais heureusement ma mère est revenue et il a paniqué, mais malheureusement elle n’a rien vu à ce moment-là et n’a donc pas réagit. Puis pendant des années il m’a frappée pour un oui ou pour un non, toujours dans le dos de ma mère, il utilisait aussi bien ses mains que des objets, il a essayé de me noyer certaines fois où je prenait un bain ou à la piscine, si bien que je ne peux plus mettre la tête sous l’eau quand je suis à proximité d’un homme. Aujourd’hui il est toujours aussi impulsif et agressif mais plus physiquement.
5/ Comment as-tu fait pour vivre avec ça ? Est-ce que tu as été suivie par un psychologue ?
Ça a été un calvaire, je me sentais tellement seule que j’ai voulu partir un nombre incalculable de fois. J’en fais régulièrement des cauchemars, où il s’en prend à moi et j’ai beau me débattre de toutes mes forces je n’arrive pas à lui échapper. Je crois que sur le long terme je m’y suis habituée en me disant qu’un jour je partirai et je n’aurai plus jamais à le revoir, mais plus le temps passe, plus j’ai l’impression que ce jour s’éloigne. Puis j’ai fait une rencontre quand j’étais ado, un ami qui a tout changé et qui m’a apporté tellement de belles choses que j’ai ce qu’il faut pour me raccrocher à du réconfort quand ça va mal. J’ai vu une psychologue pendant un moment, pas vraiment pour tout ça mais ça m’a un peu aidé, surtout pour ce qui est de sortir du silence.
6/ As-tu déposer plainte ? Si oui, qu’est-ce que ça a donné ? Si non, il y a-t-il une raison particulière, souhaites-tu le faire ?
Non je ne l’ai pas fait, d’une part parce que je n’ai pas de preuves donc ça ne mènerait à rien, d’une autre parce que certains membres de ma famille sont d’une telle bienveillance que je m’en prendrai plein la figure et je n’ai pas envie de me faire du mal avec ça. Je préfère simplement m’éloigner le plus possible de lui.
7/ Pourquoi te sens-tu abandonnée par ta famille ?
Depuis toujours, à chaque fois que je veux faire quelque chose, il y a toujours ce type qu’on appellera Michel, qui me rabaisse sur mes choix, mes projets et mes idées, au point où je n’ose pas parler de quoique ce soit à ma famille parce qu’aucun d’entre eux n’est capable de garder les choses pour lui et lui en parle.
La première fois que j’ai évoqué mon choix de parcours universitaire qui est différent de l’habituel mais permet tout aussi bien d’accéder au métier que je souhaite (et a été validé par mes formateurs), Michel a dit que j’était « conne » de ne pas vouloir passer l’autre concours, comme s’il était obligatoire pour mériter de faire ce métier alors que non.
Quand j’ai annoncé vouloir faire une coloc avec un ami, Michel m’a dit que j’étais égoïste de vouloir laisser ma mère qui paye un loyer pour quatre pièce alors qu’il y en aurait une de vide. Ma grand-mère est en Ehpad, et une fois j’étais très migraineuse et je n’ai donc pas voulu aller la voir, il a dit que j’étais égoïste et que j’allait la faire pleurer. Il critique mes écrits, mes notes, tout ce que je fais n’est jamais assez bien pour lui, sans parler du fait que j’ai été qualifiée de « bouffonne » parce que je n’ai pas voté pour le même parti politique qu’eux…
Je me sens réellement comme une étrangère et ma mère est finalement la seule personne que j’apprécie dans cette famille, parce que les autres qui ont une grande gueule ne disent jamais rien devant les propos de Michel, alors que je sais simplement que ma mère ne veut elle aussi pas s’en prendre plein la figure et je la comprend même si je préférais qu’elle s’oppose à lui un peu plus.
8/ Est-ce la raison qui t’a amenée à tomber dans une dépendance affective ?
Je pense oui, l’ami qui m’a aidé à remonter la pente à fait tout ce qu’ils n’ont pas fait pour moi, au point où maintenant je ne peux plus me passer de lui. C’est comme s’il était devenue une part entière de moi et je n’arrive plus à me détacher de lui comme si je n’était pas capable d’avancer sans l’avoir près de moi. J’ai continuellement besoin de sa présence parce que j’ai l’impression que mon monde ne peut pas fonctionner sans celui qui en est à l’origine.
9/ Tu évoques la recherche de soi, tu peux nous en dire plus ?
Je me suis toujours sentie différente des autres, certains de mes amis bien plus âgés me décrivent comme une espèce en voie de disparition comparée aux autres de ma génération. Je n’ai jamais réussi à comprendre les autres enfants de mon âge, ni même les adultes maintenant que c’est ce que nous sommes. J’ai toujours eu l’impression d’être déconnectée de leur monde et d’être née à la mauvaise période. Ça m’a valu des année de harcèlement, à l’école, à la fac, sur les réseaux sociaux, et même au travail où pourtant je me sentais en sécurité. Puis mon cerveau carbure tellement à tout le temps penser que je finissais par avoir des sortes de moments d’absences tellement j’étais plongée dans mes pensées.
C’est à force de discuter avec ma psy qu’elle a finit par soupçonner un profil HPI, elle m’a envoyée vers un neuropsy, qui y a rajouté un profil asperger et m’a envoyée chez une psychiatre spécialisée qui a ajouté un troisième trouble : le TDAH, je me retrouve donc en attente de diagnostique de trois troubles, des diags qui sont particulièrement lents et ça pèse pas mal sur le moral. J’ai des questions, beaucoup de questions et je dois encore attendre pour avoir des réponse, comme si je ne savais toujours pas qui j’étais. Puis le côté physique est arrivé aussi, j’ai débuté un long parcours de diagnostiques pour mes douleurs chroniques, avec beaucoup d’examens médicaux, et pareil, j’ignore complètement quand j’aurai des réponses.
10/ Tu dis avoir des troubles du comportement alimentaire, ça pourrait venir de là ?
Selon les médecins qui me suivent oui. Mes TCA sont des symptômes assez représentatifs de l’asperger. J’ai comme « peur » de la nourriture, c’est très difficile pour moi de manger quelque chose qui n’a pas un aspect simple et joli. Les plats de chefs me font peur car leur présentation ne me laisse pas deviner facilement leur composition et je ne peux pas supporter d'être surprise, j’ai besoin de savoir à l’avance ce qu’il y a dedans. Et les plats complexe c’est la même chose pour la même raison. J’ai des difficulté avec la couleur également, le noir / gris / marron sur le poulet ou le poisson, mon cerveau assimile ça à de la pourriture même si je sais très bien que s’en est pas. De même avec les textures ou bien le goût et les odeurs (c’est impossible pour moi de manger de la tartiflette, au point où une fois je n’ai pas pu mettre les pieds dans la cantine parce qu’il y en avait).
Et puis en plus de ça, quasiment à chaque fois je suis incapable de finir mon assiette, mon cerveau se lace et j’ai absolument besoin de passer à la suite, à cause de ça je suis obligée de faire des repas qui sont rapide à manger donc je me retrouve à manger toujours la même chose et c’est rarement sain.
11/ C’est difficile de vivre avec ?
Énormément, c’est chaque jour un cauchemar. Je n’ai pas d’idée de nouvelles choses à cuisiner, quand je tente quelque chose je suis toujours déçue au point où faire les menus est devenu une source d’angoisses.
Puis il y a le jugement des autres avec des « tu manges rien ? », « tu laisses toujours tout », « c’est relou de manger avec toi t’es trop compliquée »… Et au sein de ma famille c’est encore pire, on me crie dessus, on me sort le fameux « il y a des gens qui meurent de faim dans le monde » comme si c’était de ma faute…
12/ Il y a des gens autour de toi qui comprennent ce que tu vis ?
Oui heureusement, certains de mes proches sont compréhensifs et bienveillants mais malheureusement ce ne sont pas ceux avec qui je vis ou passe beaucoup de temps…
Merci Camille pour l'immense courage dont tu as fait preuve en nous livrant ton témoignage. Nous espérons que tu trouveras des réponses à tes questions et que ton futur sera essentiellement fait de bonnes choses.
Si vous êtes mineur(e) et que vous êtes victime de violences intra-familiales, vous pouvez appeler le 119. Pour tout fait de violence, le dépôt de plainte est possible sans l'accompagnement d'un adulte. Vous avez la possibilité d'en parler auprès de votre infirmière scolaire ou tout autre adulte de votre école qui fera un signalement auprès des services de l'État.












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